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« Le bonheur est une habitude, celle d'être heureux. »

lundi 18 février 2013

Un document sur l'impuissance d'aimer vu par son éditeur

La première plaquette de Jean de Tinan fut publiée par la librairie de l'Art indépendant, tenue par Edmond Bailly. Lieu de réunion pour les curieux d'ésotérisme, la librairie vit passer et repasser, entre autre, Pierre Louÿs, Debussy, Erik Satie, Villiers de l'Isle-Adam, Odilon Redon ... et beaucoup d'autres. La vignette de la maison était une composition de Félicien Rops (dont nous avons déjà parlé) représentant une sirène qui déploie deux grandes ailes au-dessus de ses jambes en queues de poisson. La devise, reprise à Poulet-Malassis : Non his piscis omnium

Imprimée à 300 exemplaires, ornée d'un frontispice de Félicien Rops et d'une partition d'Augusta Holmès, la plaquette de Tinan est aujourd'hui un objet rare, parfois prisé des bibliophiles ... et parmi les commentaires que ce petit texte suscite, on en découvre un signé par M. Bailly lui-même et publié dans L’Idée libre en avril 1894. C'est ce texte que nous vous proposons de découvrir aujourd'hui : 




D’un stendhalien épris de sciences exactes – est-ce que tous les stendhaliens ne le sont pas ? – des notations épisodiques sur l’amour. Moins la réalité de l’amour que son fantôme et son absence. Des subtilités, des raisonnements, des contradictions : un document, certes, sur l’impuissance d’aimer.
Et celui qui publie ce livre a vingt ans : c’est là le mal, s’il y en a, comme, s’il en faut une, en même temps son excuse.
Est-ce philosophie, ainsi qu’il pense ? Ne serait-ce, tout simplement, dépravation ? Nous laissons à M. Paul Bourget, très expert en ces cas, le soin de se prononcer sur celui-ci quelque jour. Il nous suffit de signaler ce petit livre comme une manifestation de plus de la préoccupation spéciale, à la mode un peu, qu’apportent certains très jeunes gens d’aujourd’hui à disserter sur cette métaphysique sentimentale de l’amour, raffinée d’analyse perverse de tant d’arguments subtils – comme un exemple de ce scepticisme qui s’évertue à n’en être pas, qui se débat contre soi-même, fort de toute sa faiblesse et sans victoire possible ni solution .
Et puis, ce dilettantisme de la quintessence …
Mais ce dilettantisme-là, si vous n’y prenez garde, confine à l’attitude, haïssable en tout et davantage ici, c'est-à-dire, à la comédie de vous-même si vous n’êtes pas sincère, à l’impuissance absolue si vous l’êtes.
Je pensais :
« Nous ne nous aimons pas, mais serait-ce très différent si nous nous aimions ? »
Méditez cette phrase, vous qui l’avez écrite ; elle en dit long, peut-être plus profonde encore que jolie.



Edmond Bailly, "Un document sur l'impuissance d'aimer par Jean de Tinan", L’Idée libre, avril 1894, p.192.
 

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