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« Le bonheur est une habitude, celle d'être heureux. »

mardi 22 novembre 2011

Argument d'un roman à paraître sous le titre de "Nos pauvres jalousies"

En 1896, Jean de Tinan envoya à Maurice Magre l'argument d'un de ses multiples "romans à paraître" : parmi ces arguments, bien peu menèrent à une œuvre achevée ou à une publication. Celui-ci ne fit pas exception, et il ne semble pas que Tinan ait poursuivi ce projet. Demeure cet argument fantôme, publié dans L'Effort, revue toulousaine de littérature :

Puisque que nous sommes tout de même, l'un et l'autre, tous deux ensemble devant ce paysage triste dans le vent d'arbres dépouillés et d'eau verte, il faut, il faut que malgré ce passé, nous admettions un avenir.
Lorsque, par ce froid soleil d'hiver, nous marchons le long du canal, appuyés, sous le même manteau qui nous enveloppe, nous traînons un fardeau plus lourd que celui qui, d'écluses en écluses, fatigue les cheveux de halage tendus sous les claquements des fouets.
Le soir, lorsque nos baisers se hâtent comme s'ils avaient peur de se trouver amers, il semble toujours que l'un de nous va s'épandre en sanglots pour que l'autre aussi n'étouffe plus ...
Sangloter et gémir et puis s'endormir très près. Car ce n'est pas toute cette luxure qui nous guérira, et il faudra même, lorsque nos regards seront réconciliés, que nos pauvres corps recommencent leur amour depuis le commencement de nos sourires, pour qu'il n'y ait plus, dans leur volupté, d'autres caresses que les leurs ...

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On n'oublie rien, et ceux qui disent : «  J’ai oublié » mentent ; on ne pardonne pas non plus : on accepte. Il faut que notre avenir accepte notre passé.
Mais, pour cela, ce passé, ce passé banal et douloureux dont nos mémoires nous jettent à tout instant des lambeaux torturants et déformés, je voudrais le dresser devant nous, entier, réel, et simple, – je voudrais que nous osions l'affronter ...
L'affronter avec confiance. Et puisque nous nous aimons toujours, puisque survit en nous cet inassouvissable et ardent désir d'être chacun tout entier tout l'un pour l'autre en une étreinte vivante de ton charme et de mon art, – il faudra bien que nous triomphions.
Nous triompherons de notre passé. J'écrirai notre roman. Tu le liras un soir, – malgré les sécheresses, les tristes ironies, les lyrismes maladroits ou menteurs ; – tu le liras, comme je l'aurai écrit, le mieux possible ... le plus sincèrement possible ...
Nous aurons, ce soir-là, de nouvelles fiançailles ...
Nous marcherons encore du même geste, ton épaule glissée sous mon bras? Nous toucherons aux mêmes fleurs. Je respirerai ta douceur de femme. Et, ce soir-là, – tu oseras de nouveau être sensuelle ... 

L'Effort, n°7, 1896, p. 229.

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